Cher Mandin,

Permettez-moi de parler de Dilution.

Bernadette Capelo-Pereira vous a donné une très belle préface, vous en êtes content je crois. Et j’espère que vous avez déjà reçu un bon écho. Je considèrerai votre poème à ma façon. Ce ne sera qu’une conversation avec moi-même.

  1. Bernadette dit que l’écrivain « interroge les actes écriture et lecture, mais aussi la sincérité des émotions ». Oui, elle a raison. Mais qu’est-ce que l’émotion ? où et comment commence-t-elle ? où sombre-t-elle ? Est-elle infinie ? Quelles sont les forces qui la traversent ? Échappe-t-elle à la force des choses et à la force du temps ?

Vous répondez sûrement à ces questions dans ce livre. Comme l’amour, l’émotion qui est née entre poète et lectrice se nourrit de la même « nuit », des mêmes ténèbres jouant de toutes implications sexuelles. Et comme l’amour, il existe une éternelle différence entre homme poète et femme lectrice. De là viendraient, me semble-t-il, les accumulations de vers, les contradictions de mots et la masse d’images emmenées par la joie, le désespoir et l’abandon.

L’amour la poésie, c’est Éluard, vous, la poésie l’amour, je pense. Je sais que vous ne croyez pas du tout le verbe Aimer aussi bien que Lire. Je n’aime pas ce verbe, non plus. Entre aimer et manger, quelle différence ? Mais je n’ose pas dire : « rien ». J’aime beaucoup les poèmes ainsi « L’émoi », « Les salives », « Elle dit », « Le Nard », « Le puits », « Place Saint Sulpice », « Humanité », « Inhumain », « Saudade ». Très beaux poèmes. Ce sont la Cupidonisation(un peu différente de l’érotisation) de la lecture ? Je suis sûre qu’aimer et manger de l’omelette est la même chose. Vous avez ajouté le vers : « Le chagrin c’est l’omlette norvégienne du Poète ». L’avons-nous mangée ?

Il y aurait un mystère dans la naissance de l’émoton. Vous et Jean Ptipirouette gommez vous-même entièrement, mais il reste votre voix. C’est, dans mon imagination, la voix séduisante et sombre, qui en appelle aux ténèbres en moi. J’ai honte là, car je me sens trop facile à séduire. L’âme est la chair et la chair l’âme dans la poésie, je trouve.

  1. Ce qui m’attire et me trouble dans Dilution, c’est le Vide, la Vacuité émorme, et le désespoir sans fond « irradiés » partout dans le livre. D’autant plus accablant pour moi que les poèmes parlant de la dilution sont beaux. Je vous ai déjà dit que dès le début vous ne croyez pas le verbe Lire. C’est pourquoi vos paroles relèvent de la séduction, simplement vous voulez séduire la lectrice, n’est-ce pas ? Vous pensez qu’il n’y a pas de vraie dilution, ni de croisement de deux âmes. Vous pensez que la lectrice est partie intacte. Elle est enfermée et vit de la vie de verbe pronominal. Mais vous avez tort. La dilution ne dure certainement pas, car la vie n’est pas assez forte pour la garder. La dilution est infinie et notre vie limitée. Pourtant elle exista, existe et existera.

Toute rencontre se fait en chemin, sur le pont

un jour une rafale de vent nous emportera

un jour nous disparaîtrons

cela n’a pas d’importance

je ne crois pas à la sûreté du pont

mais je crois à la croisée des regards

On dit « Kû(kou) » en japonais pour représenter le vide ou la vacuité(vous le savez). Kû signifie également le ciel dans notre langue. Pour moi, le ciel est un espace où je peux faire vagabander librement l’imagination, où je reflète mon espoir, désespoir, dépit, tristesse, joie. Ce qui est important pour moi, c’est comment et quand je retrouve ce bleu du ciel qui est, dans un sens, une chose très très banale.

Matsuo Basho propose une idée ? pour vivre de ce vide. Il s’agit de « Karumi ». Vous avez déjà la pratiquée. C’est la légèreté, non pas frivolité. Pour bien traverser la corde tendue sur l’abîme, il ne faut pas poser son poids sur la corde. C’est cela la légèreté. Mais je ne peux pas le faire aussi facilement que vous, donc je suis souvent tombée dans l’abîme ! oh là là !(Je me souviens bien de votre reproche envers moi ; vous m’avez dit de ne pas être sérieuse)

Votre vide me trouble vraiment.

Tout coule dans ce vide, je pense que je ne suis qu’un être passager pour la transmission de la vie.

  1. Qu’est-ce que cela signifie « la pierre fonda l’écriture » ?

L’émotion est née « Entre » ; entre poète et lectrice, entre sujet et objet, entre passé et avenir, entre intérieur et extérieur, entre individu et collectif, entre nature et humain, entre vie et mort……… Si on considère que le hasard (oui, « le hasard fait bien les choses ») est né dans une faille des deux nécessités, celui-là appartient aussi à « entre ». Que les pierres puissent unir ces deux parties. Les pierres vivent, voient, écoutent et sentent, et peut-être elles parlent et pensent même, mais avant que je vous les aie déposées dans votre paume, je ne le savais pas. Les pierres sont-elles « moi » ? je ne sais pas, mais elles sont à côté de moi, c’est sûr.

Le dictionnaire dit que « entre » veut dire « l’espace qui sépare ». Mais pour moi ce mot signifie « à côté ». Vos mots sont à côté de moi, non pas seulement pendant la lecture mais aussi après la lecture, même si beaucoup de nuances m’échappent à cause de ma faible compétence de la langue française.

Si mes pierres pouvaient être « les pierres d’analogie » !

Je m’arrête ici aujourd’hui. Pardon !! mes longs bavardages et mes fautes langagières.

Ikuko