Semper Eadem – L’amour du mensonge – Les Fleurs du Mal – BAUDELAIRE
Vivre est une épreuve, une maladie, un mal tissant ses liens avec la mort. Vivre à la fin de l’automne, le cœur rempli du souvenir des fruits cueillis, le cœur assailli de tristesse. Bercé par la douleur, Baudelaire plonge ses yeux dans ceux d’une Belle, beauté arrogante de vie, de joie et d’enthousiasme. Laisser le Poète la contempler telle une idole qui ne parle ni ne rit afin de lui dérober sa jeunesse, laisser son cœur s’enivrer d’un mensonge. « Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge, Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe Et sommeiller longtemps à l’ombre de vos cils ! » Le poète sacrifie la vérité à l’apparence dans un véritable culte voué à la beauté, il l’adore comme une déesse et non comme une sainte. « Qu’importe ta bêtise ou ton indifférence ? Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté. »
La chanson du Mensonge – La voix – Les Fatrasies d’Eris – MANDIN
Le sourire d’une Belle ayant l’effet d’un bon vin, le Poète, en homme galant, consent à se laisser séduire, à se plonger dans l’euphorie de ses émotions. Revenu à son état de conscience, le mépris succède à l’euphorie et il dénonce âprement la fausseté des rires et des parfums de la « gente dame » : « Laissez, laissez mon esprit mépriser son Mensonge ». La tentation est là et revient comme un leitmotiv : « Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge ». Pour Mandin, l’Amour est une imposture et, en voulant y croire aveuglément, chacun ne fait que reculer plus cruellement les limites de son couple : « la pitrerie sexuelle des couples, adoube mais ronge, les lignes une à une d’un trop vieux texte. » Son être entier se laisse envahir par le mépris. Son esprit, sa raison, son regard, sa voix posent un jugement sans appel sur la Jeune fille qui, un jour, ne sera plus. L’homme générique souffre de la condition humaine, la jeunesse n’est qu’un passage, la vie une étape vers la mort, la vie serait-elle un mensonge ? En enlaçant la vie il enlace la mort et ment à la vérité, le Fils-Poète lui-même ne ment-il pas ? L’Homme s’endort ainsi dans ses songes : «Garde tes songes : Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous !»
Pour Mandin comme pour Baudelaire l’origine du mensonge est directement liée à la vie dont la face cachée est la mort. L’homme trouve sa survie en apprivoisant le mensonge. Baudelaire s’en accommode en sacrifiant la vérité à l’apparence, Mandin le traite avec mépris et s’en attriste. Les deux poètes finissent par le considérer davantage comme un songe que comme un délit.
Elisabeth Chaizemartin Chabrerie
La chanson du Mensonge.
Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge*
Qu’as-tu donc gente dame
à dire, que tu n’as pas encore menti ?
Dans ce sourire sans drame,
des mots errants sont ennemis.
Laissez, laissez mon esprit mépriser son Mensonge.
En ce pertuis aux fragrances éternelles,
engrossé de parjures, je bombe le dos,
redoutant ses desseins, aux silences informels,
il n’est pire décor, que ses rires en rinceaux.
Ses ivresses sans alcool, ont des réveils sans fratrie,
ses caresses sans main, des Fables sans enfance,
dans cette imposture teinte de pudibonderie
les commérages de l’Amour, ont des sexes de faïence.
Nous nous dupons avec l’histoire de ses Mensonges,
car sur ses lèvres, volant à Éros, des prétextes,
la pitrerie sexuelle des couples, adoube mais ronge,
les lignes une à une d’un trop vieux texte.
Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge
Qu’as-tu donc gente dame
à dire, que tu n’as pas encore menti ?
Dans ce sourire sans drame,
des mots errants sont sans amis.
Laissez, laissez ma voix mépriser son mensonge.
Mentir à la vérité ?
Dire la vérité à la vérité,
les quatre vérités au Mensonge,
lui dire,
à elle…
Le Mensonge comme Duperie,
sentiment véritable,
mots en draperies,
morale d’une Fable.
Mentir à la vérité ?
Dire la vérité à la vérité,
les quatre vérités au Mensonge ?
Lui dire…
Les médailles pour rire,
les Promesses pour croire,
l’Amour comme Imposture
dans ses bras de faux ivoire,
écouter ses mots sans rature.
Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge
Qu’as-tu donc gente dame
à dire, que tu n’as pas encore menti ?
Dans ce sourire sans drame,
des mots errants sont insoumis.
Laissez, laissez mon regard mépriser son Mensonge.
Filles d’Éris, fuyez le miel savoureux du Fils-Poète !
Laissez, laissez mon cœur s’enivrer d’un mensonge
Que deviendras-tu Jeune Femme
dans le dire, tu n’auras plus à mentir ?
Ton sourire enfin libéré de ton drame
chantera les mots ciselés de ton avenir.
Laissez, laissez ma raison mépriser les mensonges.
L’homme antique errant et délayé,
déjà oublié, sur la plage fredonne ;
on dirait un vieux crabe effrayé.
Dans cette nuit, il abandonne
les histoires des Amours éventées.
Il rentre en lui, esseulé,
dans la lumière de demain,
mélangeant lois et refrains.
Dans l’ivresse solitaire de sa romance,
loin des drapeaux, des ombres guerrières,
enfin seul, berge sans rivière ;
danseur, il s’endort oubliant les cadences.
… Sur la tombe de la Jeune Fille des sorts,
tristement, il dansait avec le corps de la Mort
décharné, dans ses bras d’homme obsolète,
avec elle il valsait et chantait à tue-tête…
(* Charles Baudelaire)