Jean Ptipirouette se met en route, il décide de faire le tour du jardin en se servant des statues comme repères.

Suis-je un passeur ?
Ai-je à passer quelques idées
entre ma main droite à celle de gauche?
… rivière en crue
… chemin bordé de repaires.
Ai-je … à trépasser quelques niaiseries poétiques ?
Suis-je un convoyeur
des regards enamourés
des sourires béats
des larmes de joie
des âmes atrabilaires
des entrepôts de fatuité ?
Suis-je un pont de verre
entre rien et presque rien.
Suis-je un arpenteur
entre les dires et les écoutes ?

… Ne suis pas un tableau figuratif.
… Suis un fieffé coléreux.
… Suis un promeneur solitaire
sourd à ses regards.
… Parle aux statues.
… Jongle avec les vents et les lumières éteintes.
… Touche le socle des femmes de pierre
passeur du désespoir
entre les rives du bonheur et des certitudes…
JE touche le socle en pierre comme…
un autiste au sourire poétique.

Laure de Noves
Par Pétrarque de vers tu fus vêtue
aujourd’hui l’amour de pierre t’a revêtue.

Sottise la poésie n’a pas de destin lyrique
le poète n’est pas la voix des amours chimériques
il est la voie illisible des idées subversives.

Marie de Médicis
Tu fus aussi rigide que cette pierre
tu as le sourire narquois des abus d’une mère.

Sottise l’art n’est pas dans l’âme des tyrans
le créateur a souvent vu son oeuvre en mourant
illusions sont les desseins des passions excessives.

Marguerite d’Angoulême
Dixième muse tu fus aussi habile en politique
belle lettrée de pierre au sourire pathétique.

Sottise le romancier n’écrit pas de livres convenus
ses idées n’essuient pas les poussières des élus
ses mots sont l’architrave de la culture éclairée.

Valentine de Milan
Tu fus la mère d’un poète et une intrigante
te voilà de pierre récompensée froide amante.

Sottise le poème n’est pas un blanc-seing
sur lequel le mécréant impute son destin
c’est un espace d’indépendance et de liberté.

Anne de Beaujeu
Tu fus « la moins folle des filles de France, car de sage il n’y en a point »
épouse et mère dans la pierre tu regardes la France de loin.

Sottise le tableau n’est pas un espace fini et modeste
les formes ont des couleurs et les couleurs des gestes
le dessin dans son cadre cherche à fuir dans le regard.

Blanche de Castille
Tu fus tellement mère que ta beauté eut de la peine
maintenant dans la pierre râle ta pieuse vie de reine.

Le roman est un bateau porté par des flots inattendus
des mots comme rameurs des sens sans boussoles préconçues
l’écrivain cherche les contrées nouvelles du hasard.

Anne d’Autriche
La pierre cache ton sein cancéreux aux amours rachitiques
tu fus mère d’un Soleil et peu temps vierge en politique.

Le sculpteur a besoin d’une matière sans existence
il ne doit pas être le valet des burins de sa pitance
pétrir et tailler des corps dans les plis de l’éloquence.

Anne de Bretagne
De la pierre tu mourus et tu fus le corps des enjeux
tant de fois reine aux mains des manigances des fils de dieu.

L’art n’est pas au service des utopies et des despotes.
L’art n’est pas le faire valoir des réussites dévotes.
L’art n’est pas la panacée des rois et des coyotes.

Marguerite de Provence
Tu fus du berceau au lit nuptial en dehors de ton corps
celui-ci à présent dans la pierre est roide dans son sort.

Cessez donc sociologues misérables votre foi vaniteuse.
Cessez d’imposer vos bonheurs de fatuité bonimenteuse.
Cessez de faire entrevoir des récompenses venimeuses.

Berthe
Tu fus concubine et reine aux grands pieds si beaux
dans la pierre comme ma mère tu n’as plus d’oripeaux.

Je ne regarde ni devant ni derrière les imposteurs de la raison.
Je ne regarde ni devant ni derrière les bourreaux des passions.
Je ne regarde ni devant ni derrière les assassins des émotions.

La reine Mathilde
Tu fus bien mal inspirée d’épouser ton cousin le bâtard
dans ton linceul de pierre tes promesses ont perdu leur fard.

Dans une dignité sans pudeur JE fuis les chaînes des marabouts.
Dans une dignité sans pudeur JE me joue des nobles et des voyous.
Dans une dignité sans pudeur JE m’accorde des mots sans tabous .

Marie Stuart
Tu fus de la naissance à la mort reine de ta tragédie
dans la pierre tu te moques des poisons et des perfidies.

Droit dans les yeux je soutiens que la confiance n’est pas le monde.
Droit dans les yeux je proclame la démocratie moribonde.
Droit dans les yeux j’accuse les politiques de tromperies facondes.

Jeanne d’Albret
Tu fus contrainte en tout mais as joui en religion
ta foi de pierre n’empêche pas la fiente de pigeon.

Assez de toutes ces entraves à l’indépendance du poète.
Assez de toutes ces entraves au choix de renier les fêtes.
Assez de toutes ces entraves qui bâillonnent les êtres.

Clémence Isaure
Tu fus dans Toulouse par clémence et muse adorée
sur ton socle en pierre tu es de la froideur un succédané.

Je proclame la fin des amusements historiques.
Je proclame la fin des promesses hystériques.
Je proclame la fin des chaînes de la République.

Mlle de Montpensier
Tu fus si grande si riche si importante et si futile
que ta silhouette de pierre t’humilie pire que l’exil.

Empêtré je ne suis plus dans l’histoire de ma culture.
Empêtré je ne suis plus dans les atermoiements des ratures.
Empêtré je ne suis plus dans les médailles du futur.

Louise de Savoie
Tu fus après ta mort un regret pour les arts et les moeurs
l’instigatrice de la paix des dames siège dans une pierre sans coeur.

Je ne m’associe plus aux charlatans des sociétés parfaites.
Je ne m’associe plus aux grandes idées sociales et désuètes.
Je ne m’associe plus aux kermesses des tragédies muettes.

Marguerite d’Anjou
Tu fus une femme comblée une mère forcenée une reine armée
ta vie tragique aujourd’hui dans la pierre renonce à être acclamée.

Je ne balayerai pas devant le socle du pouvoir des vanités.
Je ne balayerai pas devant le socle de la vanité des vérités.
Je ne balayerai pas devant le socle des statues de l’égalité.

La Bocca della Verita
Non je ne mettrai pas la main sur les courbes de la vérité!
Oui je mettrai un mensonge dans la bouche de la vérité!
Non je ne mettrai pas la main dans le sexe de la vérité!
Oui elle jouira enfin sans me dire mes quatre vérités!
Non ses attributs ne sont pas les symboles de la vérité!
Oui je partirai après l’avoir en mille morceaux brisée!

« … Ce n’est pas moi qui souffre dans le « monde » mais le monde qui souffre en moi… «
CIORAN – Le Crépuscule des pensées –